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  • Ce qui dure
  • Le meilleur moment des amours
  • Le réveil

Ce qui dure

Le présent se fait vide et triste, 
Ô mon amie, autour de nous ; 
Combien peu de passé subsiste ! 
Et ceux qui restent changent tous.

Nous ne voyons plus sans envie 
Les yeux de vingt ans resplendir, 
Et combien sont déjà sans vie 
Des yeux qui nous ont vus grandir !

Que de jeunesse emporte l'heure, 
Qui n'en rapporte jamais rien ! 
Pourtant quelque chose demeure : 
Je t'aime avec mon cœur ancien,

Mon vrai cœur, celui qui s'attache 
Et souffre depuis qu'il est né, 
Mon cœur d'enfant, le cœur sans tache 
Que ma mère m'avait donné ;

Ce cœur où plus rien ne pénètre, 
D'où plus rien désormais ne sort ; 
Je t'aime avec ce que mon être 
A de plus fort contre la mort ; 

Et, s'il peut braver la mort même, 
Si le meilleur de l'homme est tel 
Que rien n'en périsse, je t'aime 
Avec ce que j'ai d'immortel.

 

Sully Prudhomme

 

Le meilleur moment des amours


 

Le meilleur moment des amours 
N'est pas quand on a dit : « Je t'aime. » 
Il est dans le silence même 
À demi rompu tous les jours ;

Il est dans les intelligences 
Promptes et furtives des cœurs ; 
Il est dans les feintes rigueurs 
Et les secrètes indulgences ;

Il est dans le frisson du bras 
Où se pose la main qui tremble, 
Dans la page qu'on tourne ensemble 
Et que pourtant on ne lit pas.

Heure unique où la bouche close 
Par sa pudeur seule en dit tant ; 
Où le cœur s'ouvre en éclatant 
Tout bas, comme un bouton de rose ;

Où le parfum seul des cheveux 
Parait une faveur conquise ! 
Heure de la tendresse exquise 
Où les respects sont des aveux.

Sully Prudhomme

 

Le réveil

 

Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange !), 
Je voudrais avant toi m'éveiller le matin 
Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange, 
Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine, 
Et, patient, rempli d'un silence joyeux, 
J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine, 
Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.

Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre 
Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur, 
Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière, 
Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton cœur.

Oh ! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime, 
Celui qui poserait, au lever du soleil, 
Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même, 
Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil !

Sully Prudhomme