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  • L'enfant
  • Les enfants pauvres
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  • Mes deux filles

A ma fille

O mon enfant, tu vois, je me soumets. 
Fais comme moi : vis du monde éloignée ; 
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais. 
-- Résignée ! -- 

Sois bonne et douce, et lève un front pieux. 
Comme le jour dans les cieux met sa flamme, 
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux 
Mets ton âme ! 

Nul n'est heureux et nul n'est triomphant. 
L'heure est pour tous une chose incomplète ; 
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant, 
En est faite. 

Oui, de leur sort tous les hommes sont las. 
Pour être heureux, à tous, -- destin morose ! -- 
Tout a manqué. Tout, c'est-à-dire, hélas ! 
Peu de chose. 

Ce peu de chose est ce que, pour sa part, 
Dans l'univers chacun cherche et désire: 
Un mot, un nom, un peu d'or, un regard, 
Un sourire ! 

La gaîté manque au grand roi sans amours ; 
La goutte d'eau manque au désert immense. 
L'homme est un puits où le vide toujours 
Recommence. 

Vois ces penseurs que nous divinisons, 
Vois ces héros dont les fronts nous dominent, 
Noms dont toujours nos sombres horizons 
S'illuminent ! 

Après avoir, comme fait un flambeau, 
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre, 
Ils sont allés chercher dans le tombeau 
Un peu d'ombre. 

Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs, 
Prend en pitié nos jours vains et sonores. 
Chaque matin, il baigne de ses pleurs 
Nos aurores. 

Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas, 
Sur ce qu'il est et sur ce que nous sommes ; 
Une loi sort des choses d'ici-bas, 
Et des hommes ! 

Cette loi sainte, il faut s'y conformer. 
Et la voici, toute âme y peut atteindre : 
Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer, 
Ou tout plaindre !

Victor Hugo

À quoi je songe

 

À quoi je songe ? — Hélas ! loin du toit où vous êtes, 
Enfants, je songe à vous ! à vous, mes jeunes têtes, 
Espoir de mon été déjà penchant et mûr, 
Rameaux dont, tous les ans, l'ombre croît sur mon mur, 
Douces âmes à peine au jour épanouies, 
Des rayons de votre aube encor tout éblouies ! 
Je songe aux deux petits qui pleurent en riant, 
Et qui font gazouiller sur le seuil verdoyant, 
Comme deux jeunes fleurs qui se heurtent entre elles, 
Leurs jeux charmants mêlés de charmantes querelles ! 
Et puis, père inquiet, je rêve aux deux aînés 
Qui s'avancent déjà de plus de flot baignés, 
Laissant pencher parfois leur tête encor naïve, 
L'un déjà curieux, l'autre déjà pensive !

Seul et triste au milieu des chants des matelots, 
Le soir, sous la falaise, à cette heure où les flots, 
S'ouvrant et se fermant comme autant de narines, 
Mêlent au vent des cieux mille haleines marines, 
Où l'on entend dans l'air d'ineffables échos 
Qui viennent de la terre ou qui viennent des eaux, 
Ainsi je songe ! — à vous, enfants, maisons, famille, 
A la table qui rit, au foyer qui pétille, 
A tous les soins pieux que répandent sur vous 
Votre mère si tendre et votre aïeul si doux ! 
Et tandis qu'à mes pieds s'étend, couvert de voiles, 
Le limpide océan, ce miroir des étoiles, 
Tandis que les nochers laissent errer leurs yeux 
De l'infini des mers à l'infini des cieux, 
Moi, rêvant à vous seuls, je contemple et je sonde 
L'amour que j'ai pour vous dans mon âme profonde, 
Amour doux et puissant qui toujours m'est resté. 
Et cette grande mer est petite à côté ! 


Victor Hugo

L'enfant

Quand l'enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder ; 
Quand il pleure, j'entends le tonnerre gronder, 
Car penser c'est entendre, et le visionnaire 
Est souvent averti par un vague tonnerre. 
Quand ce petit être, humble et pliant les genoux, 
Attache doucement sa prunelle sur nous, 
Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme, 
Qui n'est pas homme encore et n'est pas encor femme, 
En qui rien ne s'admire et rien ne se repent, 
Sans sexe, sans passé derrière elle rampant, 
Verse, à travers les cils de sa rose paupière, 
Sa clarté, dans laquelle on sent de la prière, 
Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs ; 
Quand cet arrivant semble interroger nos coeurs, 
Quand cet ignorant, plein d'un jour que rien n'efface, 
A l'air de regarder notre science en face, 
Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni, 
On ne sait quel rayon de rêve et d'infini, 
Ses blonds cheveux lui font au front une auréole. 
Comme on sent qu'il était hier l'esprit qui vole ! 
Comme on sent manquer l'aile à ce petit pied blanc ! 
Oh ! comme c'est débile et frêle et chancelant 
Comme on devine, aux cris de cette bouche, un songe 
De paradis qui jusqu'en enfer se prolonge 
Et que le doux enfant ne veut pas voir finir ! 
L'homme, ayant un passé, craint pour cet avenir. 
Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense 
A tant de peine avec si peu de récompense ! 
Oh ! comme on s'attendrit sur ce nouveau venu ! 
Lui cependant, qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu. 
Qu'a-t-il en lui ? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme. 
Il vit à peine ; il est si chétif qu'il réclame 
Du brin d'herbe ondoyant aux vents un point d'appui. 
Parfois, lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui, 
Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse. 
Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse 
Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est 
Parmi nous le seul être encor vierge et complet ; 
L'ange devient enfant lorsqu'il se rapetisse. 
Si toute pureté contient toute justice, 
On ne rencontre plus l'enfant sans quelque effroi ; 
On sent qu'on est devant un plus juste que soi ; 
C'est l'atome, le nain souriant, le pygmée ; 
Et, quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée, 
Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ? 
On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ; 
Sa haute exception dans notre obscure sphère, 
C'est que, n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ; 
Le monde est un mystère inondé de clarté, 
L'enfant est sous l'énigme adorable abrité ; 
Toutes les vérités couronnent condensées 
Ce doux front qui n'a pas encore de pensées ; 
On comprend que l'enfant, ange de nos douleurs, 
Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs. 
Il se traîne, il trébuche ; il n'a dans l'attitude, 
Dans la voix, dans le geste aucune certitude ; 
Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer 
Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ; 
L'oeil hésite pendant que la lèvre bégaie ; 
Dans ce naïf regard que l'ignorance égaie, 
L'étonnement avec la grâce se confond, 
Et l'immense lueur étoilée est au fond.

On dirait, tant l'enfance a le reflet du temple, 
Que la lumière, chose étrange, nous contemple ; 
Toute la profondeur du ciel est dans cet oeil. 
Dans cette pureté sans trouble et sans orgueil 
Se révèle on ne sait quelle auguste présence ; 
Et la vertu ne craint qu'un juge : l'innocence.

Victor Hugo

 

Les enfants pauvres

Prenez garde à ce petit être ; 
Il est bien grand, il contient Dieu. 
Les enfants sont, avant de naître, 
Des lumières dans le ciel bleu.

Dieu nous les offre en sa largesse ; 
Ils viennent ; Dieu nous en fait don ; 
Dans leur rire il met sa sagesse 
Et dans leur baiser son pardon.

Leur douce clarté nous effleure. 
Hélas, le bonheur est leur droit. 
S'ils ont faim, le paradis pleure. 
Et le ciel tremble, s'ils ont froid.

La misère de l'innocence 
Accuse l'homme vicieux. 
L'homme tient l'ange en sa puissance. 
Oh ! quel tonnerre au fond des cieux,

Quand Dieu, cherchant ces êtres frêles 
Que dans l'ombre où nous sommeillons 
Il nous envoie avec des ailes, 
Les retrouve avec des haillons !

Victor Hugo

Melancholia

(extrait)

... Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer. 
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue. 
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, oeuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les coeurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ?
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Victor Hugo

Mes deux filles

 

Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe, 
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe, 
Belle, et toutes deux joyeuses, ô douceur ! 
Voyez, la grande soeur et la petite soeur 
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles 
Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles, 
Dans une urne de marbre agité par le vent, 
Se penche, et les regarde, immobile et vivant, 
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase, 
Un vol de papillons arrêté dans l'extase.

Victor Hugo