À une jeune fille
Vous qui ne savez pas combien l'enfance est belle,
Enfant ! n'enviez point notre âge de
douleurs,
Où le cœur tour à tour est esclave et
rebelle,
Où le rire est souvent plus triste que vos
pleurs.
Votre âge insouciant est si doux qu'on l'oublie
!
Il passe, comme un souffle au vaste champ des
airs,
Comme une voix joyeuse en fuyant
affaiblie,
Comme un alcyon sur les
mers.
Oh ! ne vous hâtez point de mûrir vos pensées
!
Jouissez du matin, jouissez du printemps
;
Vos heures sont des fleurs l'une à l'autre enlacées
;
Ne les effeuillez pas plus vite que le
temps.
Laissez venir les ans ! le destin vous
dévoue,
Comme nous, aux regrets, à la fausse
amitié,
À ces maux sans espoir que l'orgueil
désavoue,
À ces plaisirs qui font
pitié.
Riez pourtant ! du sort ignorez la
puissance
Riez ! n'attristez pas votre front
gracieux,
Votre oeil d'azur, miroir de paix et
d'innocence,
Qui révèle votre âme et réfléchit les cieux
!
Victor Hugo