Le désir
Je sais la vanité de tout désir
profane.
A peine gardons-nous de tes amours
défunts,
Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se
fane
Y laisse d'âme et de
parfums.
Ils n'ont, les plus beaux bras, que des chaînes
d'argile,
Indolentes autour du col le plus aimé
;
Avant d'être rompu leur doux cercle
fragile
Ne s'était pas même
fermé.
Mélancolique nuit des chevelures
sombres,
A quoi bon s'attarder dans ton
enivrement,
Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes
ombres
Se plonger éternellement
?
Narines qui gonflez vos ailes de
colombe,
Avec les longs dédains d'une belle
fierté,
Pour la dernière fois, à l'odeur de la
tombe,
Vous aurez déjà
palpité.
Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses
sanglantes,
Vous épanouissant lorsque nous vous
baisons,
Quelques feux de cristal en quelques nuits
brûlantes
Sèchent vos brèves
floraisons.
Où tend le vain effort de deux bouches unies
?
Le plus long des baisers trompe notre dessein
;
Et comment appuyer nos langueurs
infinies
Sur la fragilité d'un sein
?
Anatole France