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Une ombre

 

Un jour, une sombre fortune inonde sa vie,

Un brouillard sans aube, une tristesse infinie.

Il se montre, il s’oppose, mais le temps s’enfuit

Inexorable et infini, puis le monde l’oublie.

 

Telle une âme vide errant sur le temps,

Les yeux saturés chargés de printemps,

Le corps voûté par le poids de la solitude

Il vague sur les pavés traînant sa lassitude.

 

Il déambule dans les plis sinueux de la ville,

Parmi les pierreuses masses verticales et inciviles.

Le pauvre hère suit le béton en août surchauffé,

Mais quand nait l’hiver, il ne trouve à manger.

 

Dans sa quête éperdue qui le prive de sommeil,

Son cœur muselé a oublié la couleur du soleil ;

Sa nuque hâlée lui rappelle toutefois qu’il existe,

Car les piécettes appétées sont sa loi égoïste.

 

Harassé par une quête toujours infructueuse,

Patiemment meurtri par une froidure impétueuse,

Oublié par les jours qui s’effeuillent vitement,

Il a froid, il a faim, mais ici bas nul ne l’entend.

 

Sous les yeux de l’indifférence, il s’assoit sur son banc,

Grignote un croûton rassis, sous l’aquilon naissant.

Devant son visage effacé, glissent sur le manteau blanc,

Cadeaux et provendes qui dans ses rêves sont absents.

 

Du fond de son désespoir il entrevoit Noël,

Sa mémoire est lasse, or d’hier il se rappelle,

Mais dans la rue, cheminée et père Noël n’existent pas ;

Toute de noire vêtue, peut-être qu’elle le libérera.

 

Dans la nue sombre et froide luit une lune gibbeuse

Qui le suit sans cesse le long de ses nuits ténébreuses ;

Elle pleure sur l’espoir que ses pères lui ouvrent les bras.

Mortellement blessé, il attend que la nuit emporte ses pas.

 

Soudain, il aperçoit une fillette devant une vitrine,

Il n’ose pas, il hésite et traverse avec sa peur intestine.

Derrière la vitre ruisselante où se reflète son vieux visage

Des regards agacés ; de sa présence il n’y a pire outrage.

 

Néanmoins, ses lèvres gercées esquissent un sourire,

La grimace de l’envie d’un être allouvi qui respire.

L’ombre de la ville sait que le monde l’a effacée,

Mais la fillette lui rend son sourire, son petit pain lui a donné.

 

Il s’assoit dans la neige en remerciant l’enfant,

Le fluide hiémal ceint ses membres trémulants,

Adossé au mur froid et de ses doigts frémissants,

Il serre le petit pain et ferme les yeux en pleurant.

 

Le temps glisse sur la nuit en effaçant les heures,

La Camarde bienveillante l’invite en sa demeure.

Dans ce sommeil sans rêve il oubliera sa faim,

Il dort sans haine et sans regret, son petit pain dans la main.

 

Philippe Laplace extrait du recueil « Clair-Obscur »

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